Anticipation, n°3 : Les mondes post-apocalyptiques

De Marcus Dupont-Besnard et Jeanne L’Hévéder

Que deviendrait notre humanité si les structures de la société venaient à disparaître ? Comment notre rapport à la nature en serait-il bouleversé ? Dans cette enquête, Marcus Dupont-Besnard et Jeanne L’Hévéder explorent les « mondes après la fin du monde » comme des laboratoires de pensée des renouveaux possibles. Derrière son apparent chaos, l’imaginaire post-apocalyptique apporte une lecture critique de notre époque, mais aussi des formes d’espoir et des pistes de solutions face aux défis actuels.

Cette exploration plonge dans les récits de l’après au fil d’entretiens avec des romancières telles qu’Estelle Faye et Ketty Steward, le directeur narratif d’Horizon Zero Dawn, une character artist de The Last of Us Part II, la créatrice de Y le dernier homme, le coscénariste de Mad Max Fury Road. Se croisent aussi des regards scientifiques, sociaux et historiques sur les effondrements climatiques et humains, avec des collapsologues comme Pablo Servigne, ainsi qu’une biologiste, un géographe, une historienne, un paléontologue, pour relier l’imaginaire à nos réalités passées, présentes et futures.

Résumé officiel

Voilà l’une de mes grandes découvertes du festival L’Ouest Hurlant, qui a eu lieu à Rennes les 30 avril et 1er mai derniers. La table ronde qui a eu lieu au sujet de cette revue particulière m’a permis de découvrir le projet de son créateur et sa créatrice, qui ont pour but de s’éloigner du journalisme habituel, porté sur l’actualité très récente, en proposant des enquêtes conçues sur la durée pour travailler dessus en profondeur. Marcus Dupont-Besnard et Jeanne L’Hévéder ont ainsi créé ce format de revue-livre, dont chaque numéro porte sur un sujet de science-fiction pas si fictive que ça, qu’ils développeront à travers des entretiens avec des scientifiques et des auteurs et autrices de science-fiction, ou autres artistes proches de ce genre.

Le troisième tome de cette revue porte sur un sujet aujourd’hui très présent dans la pop culture, et qui paraît bien éloigné de notre réalité, alors qu’il en est plus proche qu’on ne pourrait croire. Le récit post-apocalyptique, sous-genre de la science-fiction, se définit à la va-vite comme une histoire sur la fin du monde. On aura tous regardé au moins un film de zombies, de catastrophes naturelles mondiales ou de pandémie, qui entrent dans le genre du post-apo. Mais il est vite fait d’oublier que ce genre ne parle pas de la fin du monde, mais de la fin d’un monde, qui sous-entend la naissance d’un nouveau. La revue Anticipation nous rappelle que le post-apo se passe dans cet entre-deux, un lieu parfait pour interroger la civilisation, la société, la nature humaine et tous les mondes possibles, qui ne sont pas toujours sombres, dystopiques ou faits de sauvagerie humaine, mais peuvent apporter l’espoir d’un renouveau positif.

Anticipation montre aussi la diversité des avenirs que l’on peut trouver en post-apo, dont certains se trouvent être bien plus lumineux que l’image classique du genre, comme dans le jeu-vidéo Horizon Zero Dawn, où le monde est revenu à la nature, tout en se mélangeant avec la technologie. La nature est elle aussi un thème souvent présent dans le genre, l’effondrement de la civilisation humaine lui permettant de reprendre ses droits. Une manière de rappeler que l’humanité n’est pas au centre du monde, qui ne s’en portera sûrement que mieux sans nous. Les humains, quant à eux, ont tendance à devoir choisir soit le retour à une nature sauvage et violente, soit à une nature pacifique, nourricière, humble, loin des excès de la société d’avant – ces deux visions ayant tendance à s’opposer dans ce type de récit.

Si le post-apo n’est que la fin d’un monde, alors ça a déjà eu lieu dans le passé, à différentes échelles. C’est là un point important de la revue : plusieurs civilisations et peuples ont déjà connu leur propre apocalypse, après quoi le monde a continué de tourner. De même, un lieu comme Tchernobyl, abandonné suite à l’accident nucléaire de 1986, ressemble aujourd’hui en tout point à un décor post-apocalyptique. Enfin, plus d’un scientifique considèrent qu’on est actuellement en pleine apocalypse, les nombreuses crises de notre époque menant inévitablement à l’effondrement théorisé par les collapsologues. Il faut alors se demander, de quel monde d’après nous voulons.

Avec un sujet qui fait peur, qui est souvent associé à un avenir sombre et violent, à la fin de tout, les entretiens de ces personnalités scientifiques, ou de la science-fiction, montrent que cette fiction est bien plus proche de notre réalité qu’on peut le croire, mais apportent aussi une forme d’espoir dans l’idée de renouveau lié au genre post-apo. Cette lecture apporte donc de nombreuses pistes de réflexion sur ce genre comme sur notre monde et notre société, ce qui en fait une expérience des plus enrichissante. Faisant moins de deux cent pages, cette revue est toutefois assez dense en informations et en argumentaires, si bien qu’il est bon de prendre son temps à la lecture, qui pousse à poser de temps en temps le livre pour contempler ce qu’on en a lu et réfléchir.

En conclusion, cette revue-livre fut une belle découverte, qui montre le genre post-apocalyptique sous un nouvel angle, mais aussi notre propre monde. Une lecture très enrichissante qui pose des questions sans donner toutes les réponses. Assurément, je serai au rendez-vous à la sortie du prochain numéro.

« La science-fiction est faite de ‘et si’. Et si nous nous aidions les uns les autres ? »

Mary Robinette Kowal, Partie 6

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